1
Voici quelques réflexions
avec, pour point de départ, la question de l'utilité de cette espèce d'écriture pratiquée, ici comme ailleurs,
par d'innombrables anonymes et parfaits inconnus, dont moi-même, dans
le cadre des nouvelles agoras électroniques appelées blogs (weblogs)
: même si les censures commencent à se faire plus insidieuses,
pressantes, on peut encore parler de liberté d'expression, du moins dans
nos pays dits démocratiques, où ce droit est ancré dans la
Constitution...
Les pays totalitaires n'accordent pas la liberté de parole à leurs citoyens, qui doivent trouver d'autres moyens pour communiquer leur opposition à l'ordre établi ou à l'idéologie dominante. Le dramaturge Bertolt Brecht (1898-1956), qui a pourtant lui-même choisi un pays en voie de "totalitarisation" (la RDA) pour y finir ses jours, utilisa naguère l'expression de "langage d'esclaves" (Sklavensprache) pour décrire une façon de coder les messages qui deviennent obscurs pour le pouvoir tout en restant intelligibles pour les camarades.
*
Ce
codage et la nécessité de rendre en apparence inintelligibles les
messages subversifs ont produit et produisent encore un certain nombre
d'oeuvres intéressantes (romans, théâtre, essais)...
Mais
qu'en est-il ici et maintenant, où l'on peut dire tout et son
contraire, tout et n'importe quoi, pourvu que l'on ne diffame personne,
que l'on n'appelle pas à la haine ou à la violence, et que l'on
s'exprime correctement ? Quel serait le message subversif, qu'il est -
ici et maintenant - permis d'exprimer en clair ?
Il
est en tout cas permis de penser ce paradoxe : nous vivons une sorte de
terrorisme économique, car depuis 40 ans (1973 très exactement) le
chômage ne cesse d'augmenter, les Etats sont pris dans l'étau d'une
dette et d'une crise sans doute (du moins en partie) artificielles qui
génèrent une réduction drastique des services publics et des avantages
sociaux conquis un siècle durant de haute lutte, nous vivons donc dans
une sorte de totalitarisme très nouveau ("ultra-moderne") où il est
pourtant possible de s'exprimer librement !
C'est
d'ailleurs le seul alibi qui reste à nos sociétés ultra-libérales pour
ne pas être taxées de totalitaires : la "liberté"...
Souvenez-vous
: quelle liberté que de circuler en voiture où bon vous semble... de
téléphoner à tout le monde d'un peu partout...
*
Or,
à la campagne la voiture est devenu une contrainte, puisque les petites
gares et lignes de bus ont été fermées les unes après les autres. Et le
téléphone mobile vous oblige, en bon professionnel que vous êtes (si
vous avez l'immense privilège d'avoir un job), d'être joignable
n'importe quand, n'importe où...
Mais,
demanderez-vous peut-être, quel rapport avec la liberté d'expression et
les blogs ? - Ma réponse provisoire serait celle-ci : devant l'énorme
masse de messages nés de cette liberté d'expression à l'ère de la
globalisation digitale (en français : "mondialisation numérique"), plus
personne - pas même les services à la pointe de la technologie - ne
saurait séparer l'important de l'accessoire, le grain de l'ivraie et
tout ce que vous voudrez. Autrement dit, dans ce chaos de paroles, dans
cette immense cacophonie planétaire, je vous défie de passer n'importe
quel message, qu'il soit d'ailleurs subversif ou tout simplement sensé,
si vous faites partie de ce milliard de scribouillards anonymes (et
probablement même si vous vous êtes "fait un nom"). Dans ce brouhaha
global, que les experts en communication surnomment le "bruit",
il ne serait tout simplement pas entendu : une façon très astucieuse de
réduire tout le monde au silence par une gigantesque overdose de parole
au nom de la liberté d'expression !
2
Je prolonge ce qui précède avec ce que l'on pourrait appeler la "totalitarisation" de notre monde
en voie de "globalisation" : Ce n'est pas jouer sur les mots que de
remarquer une affinité de sens entre le terme de globalisation - qui désigne un processus menant vers une "globalité" encore peu définie par les divers analystes - et ce néologisme de totalitarisation qui sous-entend lui aussi un processus menant vers une "totalité", dont on peut craindre le caractère totalitaire.
Or, le totalitarisme, défini alors comme l'état final du monde actuel,
ne ressemblerait sans doute pas à ce que l'on a pu connaître (ou que l'on connaît
encore) : un régime autoritaire immédiatement identifiable au bruit des
bottes, aux chants militaires et aux roulements de tambour, à
l'idéologie et au symbolisme régressifs, archaïsants, à l'image de cette
Invention of Tradition, pointée par l'historien anglais Eric Hobsbawm (1917-2012),
à laquelle on pourrait assimiler ces mythes germaniques prétendûment
fondateurs d'un "Empire millénaire", cousus de toutes pièces par les
idéologues nazis.
*
Non,
le totalitarisme qui semble pointer son nez sera certainement bien plus
subtil car il se draperait de "démocratie" et de "liberté
d'expression". Si cette dernière peut être mise à mal par un "overkill" de parole, qu'en est-il de la démocratie ?
Depuis un certain temps, l'électeur - s'il est pragmatique ou tout simplement réaliste - n'a le choix qu'entre trois options : la "Droite" (Republicans, Tories, "Conservateurs", "Libéraux") et la "Gauche" (Democrats, Labour Party, "Progressistes", "Sociaux-Démocrates") ou encore l'abstention ! - Les fameux "extrêmes" refusent d'office toute alliance, les uns avec la droite, les autres avec la gauche dites "parlementaires". Indépendemment du programme qu'ils proposent - bien souvent complètement irréaliste au sein du système dans lequel nous sommes tenus d'exister - la voix que d'aucuns seraient tentés de leur accorder est perdue d'avance puisque ces partis extrémistes ne pourraient accéder au pouvoir qu'en formant des coalitions, de facto et a priori impossibles.
Depuis un certain temps, l'électeur - s'il est pragmatique ou tout simplement réaliste - n'a le choix qu'entre trois options : la "Droite" (Republicans, Tories, "Conservateurs", "Libéraux") et la "Gauche" (Democrats, Labour Party, "Progressistes", "Sociaux-Démocrates") ou encore l'abstention ! - Les fameux "extrêmes" refusent d'office toute alliance, les uns avec la droite, les autres avec la gauche dites "parlementaires". Indépendemment du programme qu'ils proposent - bien souvent complètement irréaliste au sein du système dans lequel nous sommes tenus d'exister - la voix que d'aucuns seraient tentés de leur accorder est perdue d'avance puisque ces partis extrémistes ne pourraient accéder au pouvoir qu'en formant des coalitions, de facto et a priori impossibles.
*
Evidemment,
l'espoir des uns et des autres est - à tort ou à raison - de faire
sauter le cadre du monde, de la société qui nous sont imposés : Or, pour
beaucoup, cet espoir devrait avoir vécu puisque l'Histoire récente nous
a apporté les catastrophes des guerres mondiales (entre 50 et 60
millions de morts pour la dernière, dont la responsabilité est à porter
au crédit des fascistes allemands), les camps d'extermination et les
goulags, la faillite de l'idée de communisme mise à mort non seulement
par des dictateurs sanguinaires mais par une armada de fonctionnaires.
Pour
les plus intelligents d'entre nous, le "degré zéro de l'Histoire",
prôné par toutes les "révolutions" de l'ère moderne, est une utopie
meurtrière et doit être évitée au possible à l'avenir : Car ce sont les
hommes, ces mêmes Sapiens sapiens dont le cerveau ne s'est pas
véritablement modifié depuis des dizaines de milliers d'années, qui font
les révolutions et, surtout, les révolutions doivent faire avec les
hommes, leurs automatismes de répétition, leurs pulsions mal maitrisées,
leurs moralités poreuses, leurs égoïsmes maladifs etc. etc.
*
Devant,
d'une part, la faillite des idéologies révolutionnaires et, de l'autre,
les terribles enseignements de l'Histoire récente, la seule alternative
reste le vote pour l'un des deux grands courants démocratiques ou le
désintérêt pour la politique et l'abstention. Or, si l'on considère que
la frontière entre la droite et la gauche est de plus en plus floue, au
moins depuis les "grandes coalitions"
(CDU/SPD) en Allemagne et les politiques éminemment libérales - ou si
l'on préfère : "capitalistes" - des soi-disant sociaux-démocrates Blair et Schröder,
le choix démocratique et donc la Démocratie elle-même sont mis à mal. -
En effet, on se rend de plus en plus compte que nous sommes gouvernés
par des personnages - des éminences grises - pour lesquels nous n'avons
pas voté : ceux qui détiennent le pouvoir économique, financiers, golden boys & girls, capitaines d'industrie, agences de notation, grands groupes internationaux, holdings etc. etc.
Mais alors, la Démocratie n'aura-t-elle été qu'une grande illusion, ou du moins : le serait-elle devenue ? N'aurait-elle à présent,
comme son pendant nécessaire, la liberté d'expression, qu'une fonction
idéologique, tel un beau paravent, installé pour masquer les véritables
rapports de force et de pouvoir ? Et s'il en était ainsi, un article
argumenté et sérieux véhiculant un tel message aurait-il encore une
chance d'être lu, discuté, développé au milieu de ces millions d'autres
messages écrits chaque jour dans le monde ? Je me le demande. Je vous le demande...
3
S'il est vrai que la liberté d'expression et la démocratie ne sont plus que des coquilles vides, que dire de la société de contrôle et de surveillance qui, parfois de
façon insidieuse, semble progressivement se mettre en place, notamment
avec des nouvelles sociétés comme Google (Street View, Glass etc.) ou Facebook, mais également par intermédiaire des Etats traditionnels avec leurs services de surveillance des données électroniques (NSA, DST, BND etc.) ou encore la prolifération de la vidéo-surveillance publique et privée, fixe et mobile ?
*
La
vraie question est celle-ci : vers quelle forme de société
évoluons-nous ? Et surtout : pouvons-nous encore influer de quelque
manière que ce soit sur le cours des choses, qui semble inéluctable ?
L'exemple
désormais classique est celui de la destruction de la nature et des
espèces, ou encore celui du dérèglement climatique. En effet, personne,
aucun passant que vous pouvez interroger dans la rue, ne souhaiterait la
désertification de la planète, le déboisement des forêts primitives, la
disparition des peuples naturels et des espèces animales ou végétales,
la fonte des glaces polaires. Vraiment personne !
Or, ce consensus planétaire, qui relève de l'évidence, est abolument impossible à faire valoir. Le terrorisme économique
développe un tel pouvoir de nuisance qu'aucune autorité politique ou
morale, aucun mouvement d'opinion n'est à même de s'y opposer.
L'autre
exemple est celui de la spéculation financière : malgré le désastre
planétaire de cette nouvelle "crise" dont nous semblons avoir évité -
pour l'instant et pour l'instant seulement - les pires effets, aucune
mesure décisive n'a pu être prise et les spéculateurs continuent
allègrement de jouer à la roulette russe en risquant - non pas leur
propre tête - mais une catastrophe telle que la planète pourrait être
mise à feu et à sang par des centaines de millions d'affamés qui se
rueraient sur les dépôts de nourriture pour trouver de quoi survivre
avec leurs enfants...
*
Ainsi,
l'évolution réelle des choses semble montrer que rien ne pourra
s'opposer à la force destructrice de ce terrorisme économique qui prime
sur tout bon sens, sur toute "humanité"...
Parallèlement
- peu à peu, plus ou moins discrètement - un monde de contrôle et de
surveillance se met en place dont, contrairement au cauchemar d'Orwell, nous sommes les principaux acteurs, volontaires et consentants, avec nos "smartphones", nos "Google glasses", notre compte Facebook, nos messageries électroniques, etc.
L'un des livres du philosophe et sociologue Herbert Marcuse (1898-1979) - L'Homme Unidimensionnel (One-Dimensional Man: Studies in the Ideology of Advanced Industrial Society,
Boston, Beacon, 1964) - pose le problème dès les années soixante :
jadis et naguère, la relation de l'homme à l'autorité fut
bidimensionnelle, puisqu'elle était vécue comme une instance extérieure (1) à laquelle on pouvait se soumettre ou s'opposer (2). Or, selon l'hypothèse de Marcuse, l'autorité, la surveillance, le contrôle sont à présent intériorisés pour être exercés par celui-là même qui, auparavant, avait l'alternative
de s'y soumettre ou de s'y opposer. Ainsi, toute opposition à
l'autorité est devenue impossible puisqu'il faudrait alors s'opposer à
soi-même, ce que les principes d'identité et de cohérence, la logique
même du sujet interdisent.
*
Etant
donné l'énorme masse d'informations et d'individus à "traiter", la
société de surveillance et de contrôle vers laquelle nous tendons ne
pourra fonctionner que de cette même manière : pour parler crûment, il
faut que nous devenions nos propres chiens de garde. - Et voilà que nous
achetons déjà à prix d'or tout ce beau matériel qui servira à nous
contrôler, que nous prenons des abonnements "fixes" et "mobiles",
"numérisons" toutes nos données et "publions" nos informations
personnelles. Même la caméra et le microphone sont déjà installés sur
notre ordinateur. Avec nos GPS, téléphones mobiles, achats en ligne,
recherches et préférences, nous sommes devenus "traçables", mais surtout
- tel un paranoïaque en crise - nous avons tendance à croire que l'on
s'intéresse à nous alors que - tel un désert - l'indifférence grandit.
Et devant cette surveillance imaginaire qui, certes, comporte un volet
réel, nous nous tenons, comme on dit, à carreau, nous coupons tout ce
qui dépasse, nous respectons les règles, nous nous "conformons"...
*
C'est,
j'en conviens, une vision pessimiste de l'avenir et, en fait, il suffit
que nous fassions une seule chose pour redevenir invisibles :
débrancher notre matériel une bonne fois pour toutes. N'empêche : tout
autour de nous, les gens resteront "branchés" car, dépendants du GPS,
ils auront perdu le sens de l'orientation ; sans portables, ils ne
pourront plus accéder aux mille services qui existeront seulement "en
ligne", contacter leurs relations dématérialisées et distantes ou être
"joignables" par leurs employeurs ; sans leurs cartes - elles aussi des
éléments importants de contrôle et de surveillance - ils ne pourront
plus rien acheter dans un monde où tout passe par le commutateur
universel qu'est l'argent...
*
Il
faudra donc être fort et courageux pour s'extraire de ce "Meilleur des
Mondes" et disparaitre dans la Nature. Qu'en pensez-vous ?
4
Précédemment,
un tableau bien pessimiste a été esquissé d'une future société
"globalisée" en voie de "totalitarisation" où la liberté d'expression et
la démocratie ne seraient que de façade, où le contrôle et la
surveillance des citoyens s'exerceraient avec leur consentement
puisqu'ils auraient intériorisé l'autorité, par exemple en
croyant à la toute-puissance de l'instance de contrôle à laquelle ils
penseraient ne rien pouvoir cacher...
*
Dans
ce cadre, il faut noter une évolution plutôt inquiétante avec les
recherches sur ce que l'on pourrait appeler "l'interface
bio-technologique", c'est-à-dire un dispositif permettant de connecter
et de faire interagir le cerveau humain - ou plus généralement le corps
vivant - avec les machines et notamment les ordinateurs de toute sorte :
cette interface est en chantier depuis longtemps déjà, sous le couvert -
comme si souvent - de
la recherche médicale, de l'assistance aux malades et aux "handicapés",
qu'ils aient des déficiences moteurs (paralysies) ou sensorielles
("non-voyants", "mal-entendants" etc.).
Un problème connexe est celui de "l'identification" sans faille des "individus" : les criminalistes disposaient jusqu'alors des photos d'identité et des empreintes digitales, deux avancées significatives dans la constitution de la police dite "scientifique". Ces deux éléments d'identification sont d'ailleurs aujourd'hui digitalisées pour figurer sur la "fiche biométrique" des citoyens. Il y a fort à parier que l'on y ajoutera dans quelque temps et sous les prétextes les plus divers - lutte contre la hausse de la criminalité, contre le "fléau du terrorisme" etc. etc. - notre "empreinte génétique". Ainsi, nous serons repérables, traçables, n'importe où, n'importe quand, quoi que nous fassions et quelles que soient nos intentions.
*
Un
autre problème, qui a été soulevé, est le caractère inéluctable de
l'évolution des sociétés humaines, en d'autres termes : nous n'avons,
individuellement ou collectivement, aucun moyen de nous opposer à la
"marche de l'Histoire" sous le signe du "progrès". Car, que faisons-nous
? Nous inventons toujours de nouveaux dispositifs technologiques,
faisons toujours de nouvelles découvertes scientifiques. Or, si nous
sommes les êtres les plus intelligents de la planète, nous sommes
également les plus stupides : aucun animal ne commettrait certains de
nos actes délirants, aucune "bête" n'irait autant contre sa nature. -
Autrement dit : le problème, ce ne sont pas les prouesses
technologiques, les merveilles scientifiques dont nous sommes capables,
mais certaines de leurs applications qui touchent à la bêtise la plus
abyssale, à la barbarie la plus monstrueuse...
*
Selon une thèse de Dietmar Kamper (et al.), ce sont les civilisations humaines, et elles seules, qui génèrent la barbarie. Ainsi, la théorie d'une barbarie des origines, sur laquelle la civilisation aurait triomphé pour le bien d'une humanité "éclairée",
n'est qu'une légende, probablement fabriquée de toutes pièces à des
fins idéologiques. Car, comment expliquer le surgissement de la barbarie
la plus "immonde" au pays de Bach et de Beethoven, de Goethe
et de Schiller ? N'y-a-t-il donc pas, au sein des "grandes cultures",
comme dans la Vienne fin-de-siècle de Freud, Schnitzler, Wittgenstein,
Zweig et d'autres, qui sur l'initiative de l'empereur sénile
François-Joseph fut co-responsable de cette boucherie industrielle de la
Première guerre mondiale, une faille, une béance qui laisse s'échapper,
à chaque "crise", des démons assoiffés de sang et les instincts les
plus vils ?
En
somme, si l'on considère l'ensemble de l'Hist0ire, l'homme ne serait-il
pas un massacreur congénital que rien - et surtout pas cette pauvre chape culturelle, ce fragile vernis civilisationnel - ne saurait empêcher d'être ce qu'il est : un exterminateur ?
*
Dans ces conditions, il est bien difficile d'avoir une vision sereine de l'avenir, quand on y ajoute l'attitude égoïste du "single" occidental contemporain, résumée dans cette terrible formule : "après moi, le déluge".
- Sans oublier l'indifférence croissante qui formate nos existences, la
solitude dans les villes, l'isolement des campagnes, la dégradation des
services publics, la déliquescence de la famille, désorientante voire
anxiogène pour les enfants et mortifère pour les anciens...
Pour
conclure provisoirement, et sans vouloir fermer la discussion, je
répète cet axiome difficile à contester : Face à l'évolution des choses
et des civilisations humaines, qui semblent suivre un cours quasi
autonome et inéluctable, les hommes de bonne volonté sont pour ainsi
dire impuissants puisqu'ils semblent incapables de mettre fin à la
destruction de la Nature et des espèces, aux guerres et aux massacres,
aux spéculations et au terrorisme économique, à la pauvreté et à la
famine etc. - L'économiste suisse Jean Ziegler
a dit dans une interview (que je cite de mémoire) : "La planète peut
nourrir 9 milliards de personnes, alors chaque enfant qui meurt de faim,
c'est un meurtre !"
5
Avec les éléments de réflexion qui précèdent
on peut se demander si nous ne nous trouvons pas face à ce que les
experts en la matière (anthropologues, sociologues, philosophes et al.)
appellent un "changement de paradigme".
*
Voici ce que nous apprend l'encyclopédie Wikipédia :
Le mot paradigme tient son origine du mot grec ancien παράδειγμα / paradeïgma qui signifie « modèle » ou « exemple ». Ce mot lui-même vient de παραδεικνύναι / paradeiknunaï qui signifie « montrer », « comparer », construit sur δείκνυμι / deiknumi désigner. Le terme grec et ce qu'il signifie est central dans le Timée de Platon.
Plus près de nous, il faut mentionner le concept allemand de Weltanschauung
communément traduit par "vision du monde". Pris au plan d'une
civilisation donnée (et non plus dans une perspective individuelle),
c'est-à-dire au niveau de ce que les philosophes appellent l'intersubjectivité (ni vraiment subjective ni vraiment objective),
on obtiendra ce que l'on peut nommer la "paradigmatique" ou vision du
monde collective propre à une civilisation donnée.
*
A
l'ère de la "globalisation" ("mondialisation"), il paraît évident que
les idéologues d'un possible "nouvel ordre mondial" cherchent à faire
table rase des conceptions du passé. Pour comprendre ce qui se passe
ici, il faut sans doute faire la différence entre
"civilisation" et "culture" : si cette première, notamment illustrée
par le modèle de la civilisation romaine, se distingue en particulier
par les avancées technologiques (comme les aqueducs, thermes, routes des
Romains), les cultures ont quelque chose d'irréductible, comme une
langue, un système de pensée, une esthétique et surtout une éthique
donnés qui ne sont pas entièrement "convertibles" (traduisibles) dans
les termes d'une autre culture. Ainsi, civilisation et culture
s'opposeraient comme le général s'oppose au particulier ou, plus
concrètement, un empire ou une "nation" de nature hétéroclite, composite
à une région, un peuple plus ou moins homogène, autarcique.
Cette
différenciation est certes difficile à mener, mais il semble que toute
formation d'empire, de "grandes nations", tend à niveler ou à effacer
les différences culturelles qui peuvent exister entre les peuples
appelés, bon gré mal gré,
à s'y intégrer. La civilisation romaine, polythéiste, avait deux
avantages sur d'autres : d'une part toutes les religions - sauf celles
qui, en n'admettant qu'un seul Dieu, allaient à l'encontre du principe
même de polythéisme - étaient tolérées, d'autre part tout "étranger"
pouvait en principe (bien que souvent difficilement) accéder à la
citoyenneté romaine.
*
Qu'en
est-il aujourd'hui ? Les "nouvelles technologies" sont là pour fournir
le "ciment" d'une civilisation à caractère planétaire ("global").
Ce qui semble devoir céder le pas, c'est d'abord l'Etat social :
apatride, la "nouvelle économie" ne connaît plus de frontières et ne
paye donc pas (ou si peu) d'impôts, ignore les législations sur le
travail, préfère les "free lancers" et les "intérimaires" aux
employés, les "CDD" aux "CDI" et, en qualité de main d'oeuvre, les
"stagiaires" aux professionnels confirmés.
En parlant de la Louve de Rome : Homo homini lupus est ! Du reste, il y a un changement qualitatif entre l'économie libérale classique et la nouvelle économie "ultra-libérale" où vraiment "tout est permis" (anything goes).
*
Ce
changement qualitatif, qui appelle l'hypothèse d'un changement de
paradigme, se présente d'abord comme une accumulation de modifications quantitatives.
Un bel exemple, certes anecdotique, d'une telle "mutation" est celui de
la calvitie ; une personne perd d'abord quelques cheveux, puis d'autres
et encore d'autres : à partir de quel moment la qualifiera-t-on de "chauve" ?
Il
faut se rendre à l'évidence : s'il ne se passe pas un événement
extraordinaire, dont l'Histoire a le secret, l'Etat social de type
occidental a sans doute vécu. En soi, cette disparition progressive
constitue déjà un changement de paradigme radical. Or, les tenants du
pouvoir (économique) n'ont absolument pas intérêt à ce qu'il disparaisse
complètement, comme ils n'ont pas non plus intérêt
à ce que cesse la "crise" (qui fête sa quarantaine cette année). Cette
crise, dont le caractére artificiel saute aux yeux, fournit une main
d'oeuvre docile et ce qui reste de l'Etat social, sous perfusion à cause
de la fameuse "dette", joue les garde-fous, afin que les laissés pour
compte ne viennent pas "troubler l'ordre public".
Mais alors quid
de la nouvelle idéologie, de la nouvelle éthique, du nouveau système de
pensée, bref de la nouvelle vision du monde, des nouveaux paradigmes
qui "expliquent" ("rationalisent") cet état des choses ?
Rassurez-vous : on ne trouvera pas de réponse ici parce que toute réponse de ce type serait incompatible avec les théorèmes de Gödel.
Appliqués de manière certes très simpliste et réductrice au domaine de
l'analyse des systèmes, ils réclament que l'analyste ne peut apercevoir
un système dans sa totalité que s'il se trouve placé hors de ce système
(ou, en termes gödeliens, s'il dispose d'un autre "langage" que celui du
système considéré), ce qui est impossible dans le cas présent puisque
nous sommes en plein dedans et que, de plus, la transmutation supposée
est toujours en cours avec une issue encore incertaine...
*
Un élément cependant qui a été pointé par le philosophe Jacques Poulain, dont l'un des livres porte ce titre éloquent : "L'âge pragmatique ou l'expérimentation totale" (Paris, L'Harmattan, 1991) [compte-rendu de S. Breton, PDF]. Si cet auteur s'intéresse en particulier à la pragmatique comme discipline linguistique,
et notamment aux effets de langage visant à obtenir un "acte" de
l'interlocuteur, on peut tout à fait (et avec l'expresse approbation de
Jacques Poulain) extrapoler cette formule de l'expérimentation totale
: les OGM, pour prendre cet exemple d'actualité, sont en principe
"bénéfiques" lorsqu'ils permettent de ne pas ou de moins appliquer
d'insecticides et d'autres poisons sur les plantes "modifiées". Mais on
ne sait rien des possibles "effets indésirables", de l'influence
peut-être néfaste de ces nouvelles plantes sur l'environnement dans
lequel elles sont implantées. Ce qui se passe dans ce domaine et dans
bien d'autres, c'est que l'expérience scientifique a quitté les murs du
laboratoire : elle ne se fait plus exclusivement in vitro, mais avec prédilection, en prenant parfois d'énormes risques, in vivo.
Or,
si l'on cherche une nouvelle "idéologie", elle pourrait bien se trouver
du côté des sciences expérimentales, dont on constate le formidable
essor depuis une centaine d'années. En 1913, le philosophe et
mathématicien Edmund Husserl a encore pu critiquer cette manière des sciences empiriques qui consiste à injecter des concepts aprioriques
dans l'expérience, qu'elle retrouve
*
Allons
plus loin : si l'apparition de l'empirisme en philosophie accompagne
l'attitude contraire, que l'histoire des idées nomme l'idéalisme transcendental
(Descartes, Kant et ssq.), cet universalisme "absolutiste" s'est pour
ainsi dire "auto-détruit" avec sa réduction à l'absurde dans la
philosophie de Hegel. Ensuite, des penseurs comme Nietzsche,
Kierkegaard, Heidegger ont occupé la place vacante, puis la Philosophie
elle-même s'est "décomposée" en une multitude de nouvelles disciplines
(psychanalyse, sociologie, ethnologie, linguistique, anthropologie
etc.). Restent deux domaines qui n'ont cessé de prospérer : la logique
formelle et l'empirisme.
A
lire les auteurs anglo-saxons contemporains qui revendiquent toujours,
explicitement ou plus implicitement, le titre de philosophe (comme
Dennett, Searle, Baars et al.), l'un (l'empirisme) ne va pas sans
l'autre (la logique formelle), mais surtout : s'il ne doit jamais
receler de contradiction interne, tout modèle ("paradigme") doit pouvoir
être quantifiable dans et par l'expérience, avec notamment l'essai de
falsification expérimentale du modèle, comme seule méthode de
validation (ou d'invalidation) d'une théorie.
*
C'est
dans cette scientificité - expérimentale et quantificatrice - pour
l'instant toujours tributaire de la logique formelle d'essence binaire (V/
F - 0/1), qu'il faudrait peut-être chercher les rudiments d'une
nouvelle idéologie "globalisée", absolument compatible, par son
caractère d'expérimentation totale, avec le Anything Goes de l'économie libérale. S'ajoutent les nouveaux standards de cette dernière, touchant au marketing,
à la publicité toujours plus recherchée et "osée", où l'on peut repérer
les éléments formels d'une nouvelle esthétique, par ailleurs
complètement prise dans les possibilités infinies de l'imageríe
artificielle, où la définition classique de l'art comme mimesis
(imitation) côtoie l'onirisme le plus fantasmagorique. - Dans ce
contexte, nous assistons au triomphe de la marchandise qui réclame
toujours plus de "nouveauté", d'innovations, et qui s'accompagne d'une
désorientation croissante des "consommateurs",
à l'image de ces supermarchés qui ne cessent de déplacer leurs produits
pour que le client, en les cherchant, passe devant le plus de rayons
possibles. Car, ici aussi, on expérimente : on trace les parcours du consommateur, on étudie la direction de son regard, on analyse son "comportement d'achat".
De nombreux domaines de réflexion s'ouvrent ici, à propos d'un monde où tout est devenu reproductible, comme l'a déjà souligné Walter Benjamin (1935/55), où tout est quantifiable, notamment grâce à ce "commutateur universel" qu'est l'argent.
Et sans pouvoir y répondre, je repose encore cette question pour moi essentielle : Où allons-nous ? - A quoi une voix forcément caverneuse répond : Aucune idée ! - Ce qui est le cas de le dire...
Les politiciens ne font rien parce qu'ils savent qu'on peut réduire la population à rien en 50 ans, le temps de la ménopause.
RépondreSupprimerLa nature a produit la vie. La vie a produit l'humain avec son "gros" cerveau capable de tout analyser (plus ou moins bien). Et elle a produit le blocage mental. Pourquoi? Pourquoi cette étrange évolution?
Parce que certains, comme moi, ont produit des élucubrations du genre « La création d’une existence ne sert que ceux qui existent déjà, quand il ne maitrise pas cette création, ni le chemin que suivra cette existence, le créateur est un idiot ou un sadique. »
Bien entendu si cette phrase se répand la vie disparait, or le principe de la vie est la reproduction, donc...