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mercredi 25 novembre 2020

Klaus Heinrich (1927-2020)

Philochat a la douleur d'annoncer le décès du penseur Klaus Heinrich, survenu à Berlin ce 23 novembre 2020. Éminence grise de la nouvelle pensée allemande de l'après-guerre et membre fondateur de l'Université Libre de Berlin (1948), Klaus Heinrich et son œuvre polyphonique restent à ce jour inconnus en France. Faut-il incriminer le choix éditorial français des œuvres de langue allemande, qui aura fait la part belle à Martin Heidegger et Ernst Jünger, tout en négligeant des courants importants de la pensée et de la littérature outre-Rhin ? - Certes, l'allemand est une langue difficile à traduire et, une chose entraînant l'autre, les éditeurs parisiens sont extrêmement frileux lorsqu'on leur propose le texte d'un auteur germanophone inconnu en France. - Au salon du livre 2007, le cinéaste Patrice Leconte a dit en substance qu'il est plus facile de présenter un projet de film basé sur une bande dessinée parce que les producteurs ne savent plus lire. Est-ce également le cas des éditeurs ?

Depuis un certain nombre d'années, philochat met en ligne le début de la traduction française et une présentation de l’œuvre majeure de Klaus Heinrich : L'essai sur la difficulté de dire non


Klaus Heinrich en mai 2009

photo: philochat

 

 

vendredi 7 juin 2019

Klaus Heinrich / Essai sur la difficulté de dire non

[Veuillez consulter le copyright et la note à la fin du texte]

Liminaire sur la protestation

Dire non, c’est la formule de la protestation. Dans un monde qui donne l’occasion de protester, il ne semble pas inutile d’examiner cette formule. Mais l’examen se heurte à des difficultés. Rien n’est moins exempt de contenu, rien n’est plus généraliste que le non. Le non présuppose une question et n’est soi-même que la réponse négative (« non ») à une question. Rien n’est plus inutile que le non. Quiconque recherche la connaissance devrait se dispenser du non et, pour autant qu’il ait quelque chose à dire, faire des propositions positives. Rien n’est plus dangereux que le non. Ce n’est pas seulement la formule de la protestation, c’est aussi la formule du défaitisme. Quiconque se limite à cette formule refuse tout. Il ne refuse pas seulement des ordres particuliers, il refuse l’ordre tout court. Le non est la formule de l’anarchie. – Rien n’est plus simple que de dire « non » sans arrêt. À moins qu’il n’existe un ordre qui punisse l’acte de dire non. Mais il s’agit alors d’une question sociologique, juridique, politique. Elle rend compte d’une difficulté extérieure du non. De telles difficultés extérieures existent certainement. Nous en avons personnellement vécues. Mais la philosophie, et notamment l’ontologie, doit-elle s’occuper de difficultés extérieures ? Elle traite de la connaissance de l’essence ; or notre formule évite les difficultés authentiques et n’a donc pas accès à cette sphère. C’est la formule la plus commode qui, au pire, expose son utilisateur trop imprudent à des désagréments extérieurs. Dès lors, le titre de l’essai paraît trompeur ou superficiel. Il a manqué la dimension ontologique. – Mais qu’est-ce donc que la dimension ontologique ? S’agit-il d’une sphère délimitée de l’essence ? S’agit-il de la profondeur de l’être qui rende superficielle la superficie ? S’agit-il d’une authenticité située en arrière-plan qui nous permette de faire apparaître l’inauthenticité d’une avant-scène. Ou bien l’expression « dimension ontologique » induit-elle déjà en erreur ? L’ontologiste, qui par définition parle de l’être, est-il en droit de limiter l’être ? – Mais que limite donc celui qui tient un tel discours ? Apprenons que l’être désigne l’illimité. Seul celui qui a pour objet l’illimité est à même de discerner des limites. Apprenons encore que le simple fait de parler de l’être comme d’un objet est déjà suspect. L’être n’est pas un objet, mais le tout autre d’une quelconque concrétion d’objet. Le simple acte de parler « de » l’être ou de tenir un discours « sur » l’être en fait déjà un objet. L’être se trouve occulté par ce discours de présentation. Mais que celui qui dit non se console. Si tant est que le non manque la dimension ontologique, il peut, dans la bouche de l’initié, devenir le gardien qui, sur le terrain du provisoire, du superficiel, de l’inauthentique, barre la route du sanctuaire de l’être à tout « oui » empressé. Dans son rôle de gardien, le non protège l’image divine de l’être contre la profanation. Mais en niant toute fixité comme étant provisoire, superficielle, inauthentique, il nie également le verbe figé dans la parole. Le non à la parole, qui déforme l’être par le simple acte d’en parler, mène à l’adoration muette du verbe sans aucune déformation, dont la force réside dans les racines, d’où l’être même nous parle. Toutefois, il n’est pas obligé de se servir de mots. Il peut également utiliser le bruissement du vent, le réconfort du chemin à travers champs ou le son du silence. Face à cela, celui qui dit non se voit déchu de son rôle de gardien. Qui entendait se sauver soi-même de la déchéance tombe alors dans la « soumission ». – Mais la dimension ontologique, qui s’évanouit ici dans le clair-obscur d’une pensée contemplative, a exclu notre vie faite de puissance et d’impuissance, d’actions significatives et insignifiantes. L’être de cet étant que nous sommes, auquel nous résistons et nous unissons, que nous rencontrons avec amour et haine, ou avec une indifférence aussi désemparée que destructrice : l’être de l’étant n’a pas sa place dans cette sphère, qui invite à rester sereinement sur le côté. Mais est-ce là une position ? – L’exigence de s’en tenir à la grâce de l’être fait de la question de la position une question sans merci. Or, nous ne pouvons l’éviter. Si le sérieux tant invoqué de la question ne se retrouve pas dans toute question (même s’il faut peut-être l’y chercher avec obstination parce qu’il s’y dissimule obstinément), alors il ne se trouve nulle part. Comment pouvons-nous protester contre une position qui n’en est pas une ? Comment protester sans que notre non ne se compromette dans les limitations et ne soit avalé par la dimension ontologique ? Comment pouvons-nous, en protestant, nous dérober aux conséquences destructives de la protestation ? – Dire non, c’est la formule de la protestation. Dans un monde qui donne l’occasion de protester, il ne semble pas inutile d’examiner cette formule. Mais l’examen se heurte à des difficultés. Nous supposons que ces difficultés appartiennent à l’acte même de dire non.

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