Présentation de Jacques Poulain
Rien n'est plus étranger à Jürgen Habermas qu'une conception ésotérique de la philosophie. Il refuse l'idée que le travail de la réflexion soit nécessairement une activité accessible à quelques uns. La pensée n'est donc pas, à ses yeux, réservée à une minuscule élite. Elle doit influencer son temps, se mêler à sa façon aux affaires du monde. Dès les années 50, alors qu'il était encore étudiant, le jeune philosophe publiait, à côté de ses travaux de recherche, de nombreux articles dans les journeaux. Son activité publique n'a jamais cessé de se conjuguer à ses méditations philosophiques, non pas simplement comme deux faces d'une même personnalité mais bien comme une cohérence évidente qui rend indissociables et complémentaires "connaître" et "agir".
Loin des tours d'ivoire et de la seule contemplation des vérités théoriques, Habermas s'est toujours attaché à faire partager ses convictions de la manière la plus large possible. Le souci de contribuer à une transformation de l'opinion publique internationale est au coeur de ses analyses. S'il ne saurait être question de rappeler en quelques phrases la matière d'une trentaine de volumes déjà publiés, on peut tenter de mettre en lumière quelques points essentiels de ses analyses présentes, avec l'aide du philosophe lui-même.
Une première demande s'adresse à l'auteur de Droit et démocratie (Paris, Gallimard, 1997)
J.P. Pourquoi revenir aujourd'hui sur l'idée de démocratie? Ne sagit-il pas d'une notion suffisamment claire et bien établie?
J.H. -Au contraire, répond Jürgen Habermas, il importe au plus haut point de savoir comment on peut se représenter qu'une société, aujourd'hui encore, agisse sur elle-même de façon démocratique. Sans doute le noyau de l'idée démocratique est-il tout à fait clair. Rousseau l'avait déjà formulé nettement: la vie politique commune doit être organisée de telle sorte que les destinataires du droit en vigueur puissent se considérer en même temps comme ses auteurs. C'est bien sur cette notion que se fonde l'État constitutionnel moderne. Cet État se définit à ses propres yeux comme une association volontaire de citoyens libres et égaux qui veulent régler leur vie en commun de façon légitime et recourent pour ce faire au droit positif.
La question qui s'impose à nous aujourd'hui est de savoir si une telle idée n'est pas nécessairement tenue en échec par la complexité des sociétés. Or l'idée démocratique doit évidemment rester en contact avec la réalité si elle veut continuer à inspirer la pratique des citoyens et des hommes politiques, de même que celle des juges et des fonctionnaires. Si cette idée n'avait plus de lien avec la réalité, comme beaucoup le pensent à présent, il existerait alors seulement des individus privés et des partenaires sociaux, mais il n'y aurait plus, à proprement parler, de citoyens. En ce cas, on n'aurait plus affaire, dans la vie commune, qu'à des options individuelles, et non aux libertés de citoyens soumis à une pratique commune. On verrait se reconstituer sous une nouvelle forme le fatalisme qui régnait jadis dans les anciens royaumes, avec cette différence que ce ne serait plus des dieux qui régleraient les destins. Les marchés indiqueraient les possibilités entre lesquelles on aurait à se décider, chacun pour soi, en se pliant à la logique de l'économie d'entreprise et à ses exigences d'adaptabilité.
J.P. Où trouver une autre façon de comprendre la démocratie, qui tienne compte de la complexité des sociétés présentes? Pour Jürgen Habermas, la solution est à chercher dans une nouvelle élaboration de l'autodétermination politique. Elle devrait correspondre à la réalité de la communication dans le monde contemporain, tout en préservant l'existence effective des citoyens et leur rôle actif. C'est pourquoi il convient de repenser positivement le rôle des médias de l'ère électronique.
J.H. -Si les médias exercent un nouveau type de pouvoir, qui demande évidemment à être contrôlé, ils ont en même temps l'avantage de rendre possible la communication simultanée d'un nombre infini de personnes qui ne se connaissent pas et sont très éloignées les unes des autres.
Un espace public de ce genre est une arène aux frontières fluides, où quelques acteurs lancent des mots-clefs, se saisissent des thèmes et y apportent leur contribution, tandis qu'un public dispersé, traversé de voix multiples, peut prendre position, au même moment, par "oui" ou par "non". Aujourd'hui, l'espace public d'un pays voit se raccorder à lui de nombreux espaces publics différents en fonction des médias, des sujets, des personnes et des lieux. Pour former démocratiquement l'opinion publique, cet espace politique doit parvenir à intégrer les voix marginales. Il doit pouvoir se constituer comme une caisse de résonnance des problèmes sociaux globaux, en étant réceptif aux impulsions émanant des mondes vécus privés. Car nous, les citoyens moyens, nous tirons le bilan des problèmes sociaux dans la monnaie de nos expériences vécues, que ce soit comme membres d'une communauté, comme clients, comme usagers ou consommateurs.
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Nota 1 : Jacques Poulain nous a autorisés à publier son essai intitulé : Mondialisations culturelles et dialogue transculturel (2006)
Nota 2 : En faisant une recherche "Jacques Poulain" sur le site mondialisations.org, vous trouverez d'autres articles de cet auteur.
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