dimanche 18 juin 2017

Roland Barthes - Un cas de critique culturelle (1969)

La ville d'où ces lignes sont écrites est un petit centre de rassemblement pour les hippies, principalement anglais, américains et hollandais; ils y occupent à longueur de journée une place très animée de la vieille ville, mêlés (mais non mélangés) à la population locale qui, soit tolérance naturelle, soit amusement, soit habitude, soit intérêt, les accepte, les côtoie et les laisse vivre, sans les comprendre mais sans s'étonner. Cette réunion n'a certes pas la densité et la variété des grands rassemblements de San Francisco et de New York; mais comme le « hippisme » est ici sorti de son contexte, qui est celui d'une civilisation riche et morale, son sens ordinaire se fragmente; transplanté dans un pays assez pauvre, dépaysé, non par l'exotisme géographique mais par l'exotisme économique et social (infiniment plus séparateur), le hippy devient ici contradictoire (et non plus seulement contrariant), et sa contradiction nous intéresse parce qu'au niveau de la contestation, elle met en cause le rapport même du politique et du culturel. 

Cette contradiction est la suivante. Oppositionnel, le hippy prend le contre-pied des principales valeurs qui fondent l'art de vivre occidental (bourgeois, néo-bourgeois ou petit-bourgeois); il sait bien que cet art de vivre est un art de consommer et c'est la consommation des biens qu'il entend subvertir. En ce qui concerne la nourriture, le hippy détruit les contraintes de l'horaire et du menu (il mange peu, n'importe quand, n'importe où) ou celles du repas individuel (lorsque nous mangeons à plusieurs, ce n'est jamais que par addition de services individuels, comme le symbolise maintenant l'usage de ces napperons d'étoffe ou de paille qui délimitent, sous prétexte d'élégance, le champ nutritif de chaque convive; les hippies, eux, à Berkeley par exemple, pratiquent le chaudron collectif, la soupe communautaire). Pour le logement, même collectivisme (une chambre pour plusieurs), à quoi s'ajoute le nomadisme, affiché par la sacoche, la besace que les hippies laissent battre le long de leurs grandes jambes. Le vêtement (le costume, devrait-on dire) constitue, on le sait, le signe spécifique, le choix majeur du hippy; à l'égard de la norme occidentale, la subversion s'exerce dans deux directions, parfois combinées : soit dans le sens d'une fantaisie effrénée, c'est-à-dire dépassant les limites du conventionnel de façon à former un signe clair de cette transgression même (pantalons de brocart, manteaux-tentures, longues chemises de nuit blanches, pieds nus à même le sol), soit dans le sens d'un emprunt indiscret aux costumes locaux : djellabas, boubous, tuniques hindoues, cependant désintégrés par quelque détail aberrant (colliers, tours de cou en gaze multicolore, etc.). La propreté (l'hygiène), première des valeurs américaines (du moins mythiquement), est spectaculairement contrariée : crasse corporelle, capillaire, vestimentaire, étoffes qui traînent sur le sol, pieds poussiéreux, bébés blonds jouant dans le ruisseau (cependant qu'un je ne sais quoi continue à distinguer la crasse authentique, celle de la très ancienne pauvreté, qui déforme le corps, la main, de la crasse empruntée, vacancière, répandue comme une poussière, non marquée comme une empreinte). Enfin, par les cheveux longs des garçons, leur parure (colliers, bagues multiples, boucles d'oreille), les sexes se brouillent, moins dans le sens d'une inversion que dans celui d'un effacement : ce qui est cherché, par oscillation de traits ordinairement distinctifs, c'est le neutre, le défi à l'antagonisme « naturel » des sexes. 

vendredi 16 juin 2017

E.M. Cioran (1911-1995) - Documents audio/visuels


1. Des idées et des hommes : entretien avec Emil Cioran (1950) Émission diffusée sur le Programme National (ancêtre de France Culture) le 28.12.1950.

Dans le cadre de l'émission Des idées et des hommes, Jean Amrouche s'entretient avec Emil Cioran à l'occasion de la sortie de son "Précis de décomposition".

2, Entretien d'Emil Cioran avec Michael Jakob enregistré en 1989.

3. Emil Cioran, entretien avec Georges Walter (1991)  diffusé au cours de l'émission "Grand Angle", sur France Culture, le 13.04.1991.

4. Emil Michel Cioran - Documentaire  de Bernard Jourdain et Patrice Bollon,  "Un siècle d'écrivains" n°192 (14/04/1999)

5. Emil Cioran - Les Nouveaux Chemins de la connaissance Date de diffusion : 19 - 22/12/2016 
- 1/4  Penser contre soi  - Invité : Aurélien Demars, enseigne la philosophie à l'Université Jean Moulin Lyon 3 et à l'Université de Savoie
- 2/4  Sceptique de naissance - Invité : Michel Jarrety : professeur de Littérature française à la Sorbonne
- 3/4 Rire du pire - Invité : Aurélien Demars
- 4/4 Sommes-nous voués au mal ? - Invité : Nicolas Cavaillès : auteur et traducteur

jeudi 15 juin 2017

Les sujets du Bac Philo 2017

Sujets L
Suffit-il d’observer pour connaître?
Tout ce que j’ai le droit de faire est-il juste?
 Rousseau, commentaire extrait du
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1754) (!)

Sujets S
Défendre ses droits est-ce défendre ses intérêts?
Peut-on se libérer de sa culture?
> Michel Foucault, commentaire extrait de Dits et Écrits (1978) <



Sujets ES
La raison peut-elle rendre raison de tout?
Une œuvre d’art est-elle nécessairement belle?
> Hobbes, commentaire extrait du Léviathan (1651) <

mercredi 7 juin 2017

Jacques Bouveresse - Le besoin de croyance et le besoin de vérité (2008)


Présentation de l'éditeur (Agone 2009)
Les politiques, publicitaires, experts, journalistes, philosophes et autres nous racontent des histoires à propos desquelles il est légitime de se demander si on doit les croire. Doit-on croire que de passer de l’opposition à la majorité n’est qu’une mise à disposition des compétences ? Que la berline qui roule en silence sur une petite route d’Ecosse n’a qu’à être désirée ? Qu’il faut boire deux litres d’eau minérale par jour ? Que le marché du travail n’existe que pour permettre aux gens de se réaliser ? Que l’Amour gouverne le monde ? Qu’il y a une vie après la mort ? Que réduire l’impôt des riches va relancer la croissance ? Où est la vérité et quel poids lui reste-t-il ? Mais tenons-nous vraiment à la connaître ? Le faux et l’erreur ne seraient-ils pas plus importants pour nous que la vérité, à laquelle nous sommes censés tenir passionnément ? Nietzsche a même dit que la naissance d’une illusion a été une exigence de la vie. Cependant… les dangers de l’illusion sont bien réels. Ces questions et bien d’autres du même genre sont traitées dans ces deux films par Jacques Bouveresse.
 
Influencé à Wittgenstein, le Cercle de Vienne et la philosophie analytique, Jacques Bouveresse plaide pour une forme de rationalisme que l’on pourrait appeler « satirique ». Il a étudié aussi bien les œuvres d’écrivains comme Robert Musil et Karl Kraus que celles de la philosophie de la logique et du langage, de la philosophie mathématiques et de la philosophie des sciences. Il est aussi connu pour des ouvrages critiques sur les impostures issues d’une partie de la philosophie française des années 1970-1990 et sur celles de la presse, en particulier du journalisme philosophique à sensation.
 
Suite de l'entretien  > Les Intellectuels et les médias
Références des deux vidéos > Entretiens avec Jacques Bouveresse filmés par Gilles L'Hôte, A la source du savoir, Paris, 2008.
 
À consulter également :
- Jacques Bouveresse aux Éditions Agone