samedi 22 avril 2017

Jacques Poulain ~ Peut-on guérir de la mondialisation ?




Jacques Poulain

PEUT-ON GUÉRIR DE LA MONDIALISATION ?

(à paraître aux éditions Hermann, 2017)

Les démocraties économiques produisent en accéléré un appauvrissement du monde. Elles programment même un dégraissage de leurs populations actives de l’ordre de 80%. Pour légitimer leurs régulations, justifier leurs performances catastrophiques et les crimes spéculatifs de leurs banques, elles n’agitent que ce schibboleth appelé par Joseph Stiglitz « le consensus de Washington » : libéralisation, privatisation et austérité. Elles développent sans sourciller une esthétisation pathologique du monde à l’aide d’un chamanisme économique qui les dispense de se soumettre à ce qui devrait régler leur développement : le jugement d’objectivité qu’elles sont appelées à porter sur leurs propres résultats. C’est ainsi qu’elles parasitent, sous couvert d’expérimentation, la puissance de l’imagination créatrice que l’être humain s’est forgée pour surmonter l’absence de ses coordinations héréditaires à l’environnement. La maladie mortelle qu’elles propagent n’est pourtant qu’un autisme de la réflexion. Le sursaut doit venir d’un dialogue transculturel, seul remède pour guérir de la mondialisation.

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Jacques Poulain est titulaire de la chaire UNESCO de philosophie de la culture et des institutions, membre de l’Académie européenne des sciences et des arts et professeur émérite de l’université Paris 8. Il a participé à la fondation du Collège International de philosophie comme vice-président à l’internationale, de 1985 à 1992, et est l’auteur de nombreuses publications, dont :


  • L'Âge pragmatique ou l'expérimentation totale, L'Harmattan, 1991.

  • La Loi de vérité ou la Logique philosophique du jugement, Albin Michel, 1993.

  • La Neutralisation du jugement ou la Critique pragmatique de la raison politique, L'Harmattan, 1993.

  • La Condition démocratique, L'Harmattan, 1998.

  • Les Possédés du vrai ou l’Enchaînement pragmatique de l’esprit, éd. du Cerf, 1998.

  • De l'homme. Éléments d'anthropobiologie philosophique du langage, éd. du Cerf, 2001.
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Sur philochat >  Mondialisations culturelles et dialogue transculturel (2006)
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vendredi 21 avril 2017

Pensée magique, pensée rationnelle

 Détail de la Grotte de Lascaux


Lorsque, dans leur exil américain, les penseurs Horkheimer et Adorno rédigèrent la « Dialectique des Lumières » (1), ils ne devaient pas se douter que leur thèse se vérifierait quelque soixante-dix ans plus tard dans des conditions bien différentes de celles qu'ils avaient fui, après avoir assisté à l'effondrement de la civilisation européenne dans le maelstrom de la barbarie fasciste et en particulier du nazisme allemand. Cette thèse tient en quelques mots : la victoire du rationalisme sur la mythologie n'est qu'apparente car, en cherchant à dominer la nature tant extérieure (notre fameux « environnement ») qu'intérieure (nos « pulsions », « affects » etc.), la pensée issue des Lumières se fourvoie progressivement dans une nouvelle forme de mythologie qui rationalise la domination économique, technologique que l'homme entend exercer sur un monde « démythifié » (« désenchanté », « objectivé ») et en dernière instance sur sa propre nature (« humaine »). D'où une forme inédite de barbarie, enfantée par la civilisation même qui se place sous le signe exclusif du rationalisme.

Pour qui divise l'humanité en camps du bien et du mal, en civilisés d'un côté et barbares de l'autre, pour qui admet une « barbarie des origines » dont la civilisation nous aurait délivrés une fois pour toutes, cette thèse restera incompréhensible. Or, l'histoire nous enseigne – en particulier avec l'exemple du fascisme allemand qui constitue la préoccupation principale de nos auteurs – que les braves travailleurs présumés « naïfs » tout comme les bons bourgeois considérés comme « raffinés » et « cultivés » peuvent, dans certaines circonstances, se transformer en bêtes féroces, en monstres déshumanisés, en robots exécutant l'ordre d'un « guide » de droit quasi « divin », ou peut-être simplement d'un « shaman moderne » dont les vociférations sont démultipliées par le « miracle » technologique de la radio, dont tous les foyers allemands ont été religieusement équipés dès 1933. Et qui finissent par commettre le plus grand massacre collectif que l'humanité ait connu jusqu'alors.

C'est cela que nos auteurs ont essayé de comprendre. Et quoi de plus patent que l'irruption d'une « pensée magique », que l'on croyait bannie à jamais, dans cet univers rationnel et déjà hautement technologique de l'entre-deux-guerres.