mardi 6 mars 2012

Pierre Bourdieu sur la télévision



 Voici un exposé du sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002) sur le médium télévision dans son bureau du Collège de France, et diffusé par cette institution. Pas à la télévision, bien sûr, où le penseur s'est fait rare : les raisons qui l'ont poussé à éviter ce médium apparaissent clairement dans cette analyse proposée en 1996 (réalisation : Gilles l'Hôte). - La même année, Pierre Bourdieu avait fait paraître son petit essai Sur la télévision (éd. Liber-Raisons d'agir, Paris, 1996). 

Ces réflexions ont été précédées ou accompagnées par la polémique avec le journaliste Daniel Schneidermann, qui dirigeait alors l'émission Arrêt sur images (France 5), sur la possibilité (DS) ou l'impossibilité (PB) de critiquer la télévision à la télévision. L'émission avec Pierre Bourdieu et les liens sur les articles des deux contradicteurs dans le Monde Diplomatique se trouvent ici-même. - Dans son article, Pierre Bourdieu écrit par exemple : « Arrêt sur images », La Cinquième, 23 janvier 1996. L’émission illustrera parfaitement ce que j’avais l’intention de démontrer : l’impossibilité de tenir à la télévision un discours cohérent et critique sur la télévision. Prévoyant que je ne pourrais pas déployer mon argumentation, je m’étais donné pour projet, comme pis-aller, de laisser les journalistes jouer leur jeu habituel (coupures, interruptions, détournements, etc.) et de dire, après un moment, qu’ils illustraient parfaitement mon propos. Il aurait fallu que j’aie la force et la présence d’esprit de le dire en conclusion (au lieu de faire des concessions polies au « dialogue », imposées par le sentiment d’avoir été trop violent et d’avoir inutilement blessé mes interlocuteurs). [lien direct sur l'article]


Dix ans après sa disparition le 22 janvier 2002, la sincérité et la lucidité de ce penseur atypique manquent toujours autant à une pensée contemporaine de plus en plus molle et bien pensante, quand elle ne sombre pas franchement dans le populisme ou le culte de la médiatisation.

lundi 5 mars 2012

Heidegger en France

On s’apercevra d’une obsession majeure dans la pensée philosophique en France, qui tient en un seul nom propre : Heidegger ! La pensée française du 20e Siècle a pourtant été l’une des plus fécondes que l’on puisse imaginer (on nous dispensera de name dropping) : pourquoi alors s’en référer – sans toujours comprendre l’original – à un philosophe dont tout semble indiquer qu’il a accueilli favorablement l’avènement de l’un des régimes politiques les plus meurtriers de l’histoire ? A-t-on essayé de comparer, si possible dans le texte, les idées exprimées dans “Was ist Metaphysik?” (1929) – une sorte de condensé de son œuvre majeure “Sein und Zeit” (1927) – avec le tristement célèbre “Discours du rectorat” (1933) ? Etudié les relations qu’entretenait le “disciple” avec son maître Husserl pendant le fascisme ? La rature de la dédicace de Sein und Zeit en est le symbole et le symptôme. – Il y a eu le livre de Victor Farias (Heidegger et le nazisme, Verdier 1987, réédité en Livre de Poche, cf. notamment pp. 150 et ssq.). Mais il y a surtout eu Auschwitz, et le livre marquant du survivant Primo Levi, Si c’est un homme (Si questo è un uomo, 1947). Comment un philosophe qui – en 1933 ex cathedra – prône le “Führerprinzip” – où le ralliement à la nouvelle “idéologie allemande” n’est que trop évidente – a-t-il pu se taire lorsque les atrocités commises ont été connues du monde entier ? Comment est-ce possible de laisser – par le silence – subsister le doute ? – “Je me suis trompé, je ne savais pas !” Voilà ce que l’on était en droit d’attendre d’un homme public qui s’était pour le moins compromis avec le régime. Mais il n’y a rien eu. Nichts. – Interdit d’enseignement par les autorités en charge de la “dénazification” en Allemagne, il fut accueilli à bras ouverts en France où l’on digérait, tant bien que mal, l’Occupation et ses ambiguïtés. C’est cette réception positive de Heidegger (mais aussi de Jünger) au pays de Gobineau, Maurras et Barrès, qu’il faudrait interroger. [...]

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