vendredi 26 novembre 2010

Michel Foucault et les "Nouveaux Philosophes"

Bien en retard, comme si souvent, je tombe sur un échange dans le Monde Diplomatique à propos de la relation entre Michel Foucault et ceux que l'on appelait, en 1977, les nouveaux philosophes. Il y eut d'abord l'article d'un professeur américain, Michael Christofferson (Pennsylvania State University) daté d'octobre 2009 - Quand Foucault appuyait les « nouveaux philosophes » - puis la réponse de Hamid Mokkadem - Michel Foucault et les « nouveaux philosophes » - le mois suivant. - Je vous laisse découvrir cet échange s'il vous avait également échappé.

Christofferson dépeint Foucault comme un grand ambitieux qui, selon lui, ne devait sa carrière - et notamment la chaire au Collège de France - qu'à la médiatisation dont il faisait l'objet et qui le rapprochait donc des nouveaux "médiatiques" qu'étaient devenus Bernard-Henri Lévy et surtout André Glucksmann qui ne tarissait pas d'éloges sur le maître. - Un autre point de la discussion est l'option politique prise par Foucault et les "nouveaux philosophes". Le débat autour du totalitarisme - notamment soviétique - faisait rage, et les bons scores électoraux à la fois du PS et du PC, qui restait toujours plus ou moins en phase avec l'URSS, pouvaient mettre à mal le "Programme Commun". Selon Christofferson, la médiatisation de BHL et de Glucksmann répondait ainsi à un dessein politique visant à saborder l'union de la gauche.  Christofferson écrit (loc. cit.): "Il faut signaler, par exemple, les interventions de Roland Barthes en faveur de La Barbarie à visage humain, et de Jean-François Revel en faveur de la « nouvelle philosophie » dans son ensemble. Barthes se sent proche du diagnostic de la « crise de la transcendance historique » exposé par Lévy et est, dit-il, « enchanté » par son écriture (*). Revel soutient le combat des « nouveaux philosophes » contre l’Union de la gauche et considère qu’ils partagent son analyse de La Tentation totalitaire. Mais le rôle de deux autres personnalités est encore plus décisif : celui de Michel Foucault, qui fait l’éloge des Maîtres penseurs ; et celui de Philippe Sollers et sa revue littéraire Tel Quel, qui se rallient au combat de Bernard-Henri Lévy et de la « nouvelle philosophie »." -  Et d'ajouter à la fin de l'article: "Lorsqu’il effectue un rapprochement entre le goulag et le « grand enfermement », Foucault craint, par-dessus tout, que cette comparaison soit utilisée pour confondre toutes les persécutions, tirer d’embarras le PCF et permettre à la gauche de ne pas modifier son discours. C’est probablement pourquoi il fait supprimer les références à la notion d’« archipel carcéral » dans les éditions ultérieures de Surveiller et punir. Foucault pense que La Cuisinière et le Mangeur d’hommes ne tombe pas dans ce piège politique. N’ayant pas élaboré d’analyse personnelle du goulag et de ses relations avec l’Etat, il trouve dans Les Maîtres penseurs une dénonciation de ses ennemis (les communistes, les idéologies totalisantes et l’Etat) au nom des éléments marginaux auxquels il attribue lui-même un rôle politique essentiel. Et c’est sans doute pourquoi il a tenu à faire l’éloge de ce livre." (**)

Dans sa réponse, Hamid Mokkadem défend Foucault, qui n'aurait pas eu besoin de médiatisation pour obtenir, dès 1970, un poste au Collège de France où "il succède à son maître Jean Hyppolite". En effet, celui-ci serait davantage dû à ses relations de la rue d'Ulm, à Jean Vuillemin et "à l’appui discret et efficace de Georges Dumézil." - Et Mokkadem voit "dans le soutien de Foucault au livre de Glucksmann  [Les Maîtres Penseurs] moins une tactique qu’une méprise ou un quiproquo", comparable à sa manière d'envisager "la révolution chiite iranienne, [Foucault] croyant y lire une autre manière de faire la politique et soutenant le soulèvement spirituel du peuple iranien en 1979."

Cette discussion montre, si besoin était, que les penseurs se trompent souvent de combat. Et il ne faut pas remonter aux errements de Descartes (lettres à la Princesse Elisabeth), de Hegel (apologie de l'Etat prussien autoritaire) ou de Heidegger (soutien au 3e Reich en 1933ssq.) pour trouver des exemples patents. On se souvient de certains engagements de Sartre, comme la visite qu'il avait faite - à la même époque - au terroriste allemand Andreas Baader dans sa prison de Stammheim (***). Ou du soutien récent  (2007) de Glucksmann au président Sarkozy et de l'approche - certes "distanciée" (paradoxe)  - du même par Edgar Morin. - Nulle honte à être libéral de droite ou d'extrême gauche - comme Badiou aujourd'hui - mais il s'agirait de ne pas se faire avaler par la machinerie médiatique qui finit toujours par vous broyer... et retourner tous vos faits et gestes contre vous, au besoin.

(*) Roland Barthes, « Lettre à Bernard-Henri Lévy », Les Nouvelles littéraires, 26 mai 1977. Reproduite dans Sylvie Bouscasse et Denis Bourgeois, Faut-il brûler les nouveaux philosophes ?, NEO, Paris, 1978, p. 89-90.
(**) Michel Foucault, « Cours du 7 janvier 1976 », « Michel Foucault : crimes et châtiments en URSS et ailleurs », « Pouvoirs et stratégies » et « Questions à Michel Foucault sur la géographie », Dits et écrits, 1976-1979, Gallimard, p. 166-167, 69, 418-421 et 32.
(***) ajout tardif : un récent documentaire de Stefan Aust défend la thèse selon laquelle Sartre serait allé à Stammheim voir Baader pour le convaincre de renoncer au terrorisme ; mais cela ne change rien à la réception qui fut faite à l'époque de cette visite, interprétée comme un soutien du penseur au terroriste, Sartre n'ayant pas révélé ses vrais motifs, s'ils ont existé...

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