N.B. - À la relecture, l'intitulé "Réflexions sur le droit à la parole" peut paraître restrictif puisque le sujet s'est élargi au fil de l'écriture. Héritée des essais scientifiques, la numérotation des éléments de réflexion permet en effet d'intégrer des développements ultérieurs sans pour autant remettre en cause la progression de l'ensemble. Ainsi, le texte garde une ouverture sur les pensées à venir et résiste à toute "conclusion fermée". De ce fait, les commentaires sur les différents points seraient les bienvenus et pourraient donner lieu à de nouveaux inserts...
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1. - Il faut être quelqu'un pour avoir le droit à la parole, c'est-à-dire: posséder une identité et un domaine de compétence reconnus.
1.1. - Le "droit à la parole" désigne plus précisément l'accès et la participation au débat public, où l'on touche un nombre plus ou moins important de personnes (lectorat, auditoire, téléspectateurs, followers).
1.1.1. - Or, les "anonymes" - anciens membres de la "majorité silencieuse" - restent largement exclus de la parole publique, à moins d'apparaître, à l'occasion, dans un montage où leur parole fonctionne alors comme justification (faire-valoir) d'un message sur lequel ils n'ont aucun contrôle. Ou encore de bénéficier, par exemple, du retweet d'une personnalité qui leur procure alors les fameuses "quinze minutes de célébrité" (Warhol).
1.2. - Dans ce contexte collectif, il faut évoquer le rôle des "influenceurs" et la notion de "tendance". Les messages qui se conforment à - ou confirment - une tendance relèvent pour la plupart du "remplissage" puisque c'est le nombre (de reposts, de likes) qui en détermine (mesure) la "popularité".
1.2.1. - Les influenceurs ou "faiseurs d'opinion" interviennent en particulier dans les domaines du commerce et de la politique. Au service de groupes d'intérêt, leur but est de susciter l'adhésion d'un nombre conséquent de personnes à une tendance afin d'influer sur - ou de modifier - les comportements.
1.2.2. - Si elles peuvent paraître spontanées, les tendances sont souvent créées de toutes pièces par des spécialistes, qui repèrent des "préférences" et des "ressentiments" au sein d'une population afin d'y susciter un engouement (pour un produit, une mode, une conviction etc.) ou un rejet (d'une politique, d'un discours officiel etc.).
1.2.3. - Indépendamment de ses contenus (revendications), le mouvement des Gilets Jaunes peut être considéré comme un cas spécial de "tendance de rejet" plus ou moins spontanée de la parole "officielle" (gouvernementale). Ce mouvement très clivant fait émerger deux camps: les pour et les contre. Il en ressort un caractère binaire, comparable à celui qui façonne les comportements en matière de mode: être in ("à la mode") ou out (out of style, démodé).
1.2.4. - On peut mener une réflexion similaire sur les mouvements de révolte de la jeunesse dans les années 1960/70. S'ils contestaient sans doute à juste titre le monde figé d'alors, ils étaient également proches d'un phénomène de mode, en particulier avec la culture pop, des festivals comme Woodstock, le mouvement hippie etc. On observe par ailleurs que les "combats politiques" avaient parfois un caractère "emprunté", comme le maoïsme ou le trotskisme des étudiants parisiens en 1968, qui ont ensuite été largement reniés par les intéressés (Glucksmann, Lévy, Cohn-Bendit et d'autres).
2. - Dans notre contexte, il faut entendre l'anonymat, non pas comme le refus de dire son nom, mais comme la condition de l'immense majorité des gens, dont l'identité et le domaine de compétence ne sont pas reconnus ou reconnaissables (1.).